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Comment poser un diagnostic quand votre entreprise est contaminée par une mode managériale

Recherche RH (LISPE & Chaire BDO)

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05/11/2018

© GETTY IMAGES

En matière de tendance de management, qui dit contamination ne dit pas toujours complication.

La théorie des modes managériales est particulièrement pertinente pour appréhender les nouvelles tendances du management qui agitent fréquemment les marchés (bonheur au travail, entreprise libérée, flex office…). Il s’agit d’une théorie qui estime que le mimétisme, le conformisme et la quête de légitimité tendent à expliquer la diffusion, au même moment, d’une même pratique de gestion au sein d’entreprises différentes. Si les travaux de Christophe Midler et ceux d’Eric Abrahamson ont admirablement bien décrit le cycle de vie d’une mode et les ressorts de sa diffusion, qu’en est-il en interne, une fois que la pratique a franchi le seuil de l’entreprise ?

Si la propagation d’une mode semble en effet répondre à un schéma prévisible à l’échelle du marché, la réalité apparaît plus nuancée dès lors que la pratique a intégré l’organisation. Nombreuses sont les entreprises qui peuvent en effet adopter le même outil, au même moment, et néanmoins faire l’objet d’un « espace d’interprétation » particulier. Entre adoption et rejet, il existe un vaste éventail des possibles en matière d’appropriation : le choix est donc loin d’être binaire. Les travaux de Kjell Arne Røvik, professeur à l’université de Tromsø, en Norvège, fournissent à cet égard un éclairage particulièrement fructueux pour appréhender les réalités protéiformes qui émergent chaque fois qu’une organisation adopte une pratique à la mode.

Une mode managériale est un virus

Pour illustrer ces dynamiques complexes, Kjell Arne Røvik, dans « From Fashion to Virus » (2011), puise dans les sciences médicales et développe un cadre d’analyse qui assimile la mode à un virus, et l’organisation hôte à un écosystème biologique. Une telle analogie lui permet de démontrer que nombre d’éléments peuvent en effet altérer l’impact de la mode et générer des incubations variables en fonction des organisations touchées. Il estime que les entreprises, au même titre que les patients, sont en effet susceptibles de réagir différemment à un même virus.

Ainsi, une organisation A pourra être immunisée contre un virus-mode en raison d’une contamination antérieure ayant conduit à un échec, l’outil défaillant présentant de fortes similarités avec la mode en vigueur. A l’inverse, une organisation B pourra être fortement infectée par cette même mode car celle-ci sera perçue par la direction comme étant une réponse idoine aux problèmes du moment. Il est par ailleurs envisageable qu’une organisation C mésestime sa contamination du fait d’une absence de symptôme consécutif à une période d’incubation plus longue qui n’exclut pas, pour autant, un impact significatif à moyen terme. Quel que soit l’option, l’auteur nous rappelle que le virus-mode, une fois dans l’organisation, peut tout à fait engager un processus de métabolisation originale des pratiques internes, loin des schémas caricaturaux de la mode en question.

Quatre diagnostics pour une multitude de scénarios

Si votre organisation se retrouve au contact d’une mode et qu’en tant que manager attentif, vous appréhendez que cette nouvelle tendance ne vienne perturber votre organisation, surtout, ne paniquez pas. Vous n’êtes pas nécessairement en danger : quatre diagnostics sont envisageables.

Diagnostic 1. Les défenses immunitaires de votre organisation vont stopper la contagion, vous ne risquez aucune invasion de baby-foot, ni de remise en cause radicale de vos modes opératoires. Votre organisme est naturellement immunisé, ou récemment vacciné par une mauvaise expérience liée à une mode similaire. Ainsi, les entreprises ayant connu de nombreux déboires lors de la mise en place « à tout-va » du e-learning ont, sans aucun doute, vu arriver les MOOC et les SPOC avec beaucoup plus de reculque d’autres organisations.

Diagnostic 2. La mode va générer de multiples symptômes visibles. Mais, soyez tranquilles, ils seront bénins. De nombreux buzzwords et discours convenus vont de manière éphémère investir vos réunions, mais ils disparaîtront sitôt la prochaine mode venue. Ils ne laisseront aucune marque dans votre organisme. Veillez cependant à ce que l’absence de symptômes réels ne masque pas un éventuel phénomène de « dormance », autrement dit, une mise en sommeil temporaire de la mode en interne. Une telle situation est relativement délicate dans la mesure où la pratique pourrait s’activer plus tard, à la suite d’un changement de direction ou de conjoncture, et ce sans que vous l’ayez réellement anticipé.

Diagnostic 3. La mode va quelque peu vous chambouler. Le virus va engager un processus de transformation, de mutation, en s’hybridant avec les autres pratiques internes. Votre organisme va procéder à une sélection génétique, éliminer certains aspects de la mode en vigueur et en conserver d’autres. Les idées générales et abstraites vont prendre corps et se mélanger aux usages et aux routines de l’organisation, aboutissant ainsi à des outils complexes et originaux, souvent bien plus en phase avec vos besoins.

Diagnostic 4. Votre organisme va changer d’ADN, vous allez vous métamorphoser génétiquement et devenir une entité nouvelle, avec sa culture et ses procédés nouveaux. Diagnostic plus rare, il entraîne une transformation radicale et en profondeur de votre organisation – à vos risques et périls. Devenir du jour au lendemain une entreprise totalement libérée sera sans aucun doute un voyage long et truffé d’aventures…

En résumé, une organisation contaminée par une mode n’encourt pas nécessairement un risque de complication majeur. Plusieurs entreprises peuvent en effet présenter des symptômes analogues – à l’instar d’un discours formaté ou encore d’un baby-foot dans le hall – et néanmoins faire l’objet d’une appropriation originale du dispositif en vogue. Il apparaît cependant important qu’un manager, confronté à la diffusion d’une mode managériale, considère les quatre scénarios ci-dessus pour aiguiser son discernement et éviter de concevoir la mode comme une feuille de route unique aux effets prétendument prévisibles. Enfin, bien qu’elle soit ici comparée à un virus, une mode managériale ne constitue pas nécessairement un phénomène négatif pour une entreprise. Au contraire, la mode peut être l’occasion de réinterroger les processus internes et de définir un « espace d’interprétation » singulier susceptible d’enclencher une véritable innovation managériale.


Article publié ce jour sur le site de la Harvard Business Review.

Ludovic Taphanel

Enseignant-chercheur à l’IGS-RH, il est Docteur en sciences de gestion. Ses recherches se concentrent sur les nouvelles formes d’emploi et d’organisation, en se centrant sur les impacts de ces phénomènes sur la performance individuelle et collective, la trajectoire professionnelle des individus, leur construction identitaire et leur bien-être.

Romain Zerbib

Enseignant-chercheur HDR en stratégie au Lara/ICD Business School et chercheur associé à la chaire ESSEC de l’innovation managériale et de l’excellence opérationnelle, ses recherches se concentrent sur les mécanismes de diffusion et d’adoption des modes de gestion au sein des entreprises. Il interroge à cet égard les ressorts du mimétisme […]


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